Avec la mort de cheikh Abdeslam Yassine à l’âge de 87 ans, c’est un grand point d’interrogation qui se pose pour l’avenir du mouvement islamiste Al Adl Wal Ihssane (justice et bienfaisance). Car la disparition du cheikh soulève l’épineux problème de sa succession à la tête de la Jamaâ (la communauté), dont il était le fondateur et qui compte des dizaines de milliers d’adeptes.
Depuis qu’il a fondé l’association au début des années 80, le cheikh dirigeait le mouvement sur le modèle des antiques zaouia (confréries), dont les disciples devaient une obéissance aveugle à leur guide mystique. Et malgré la maladie et l’affaiblissement physique et intellectuel des dernières années, l’ancien enseignant au ministère de l’Education nationale gardait la main sur la Jamaâ, à l’image d’un parrain jaloux de ses possessions. Ce qui s’est traduit par l’impossibilité de l’émergence d’un dauphin qui succéderait au patron. Mais avec l’âge et la longue maladie du cheikh, la question de la succession à la tête du mouvement islamiste était devenue si prégnante que même ses plus fidèles adeptes ne pouvaient plus la cacher. Pas plus d’ailleurs que son ramollissement intellectuel, soigneusement dissimulé par ses plus proches lieutenants. Loin d’affronter les médias pour défendre ses très controversées visions, le mourchid préférait agir par de distantes apparitions, enregistrées sur vidéo et mises en ligne sur le site de la Jamaâ. Et si beaucoup des adeptes du cheikh appréhendaient sa disparition comme une irremplaçable perte, d’autres en revanche étaient plus circonspects sur son parcours. En particulier sur sa présumée baraka et, surtout, ses fameuses visions. La plus connue est son obsession d’une imminente qawma (soulèvement) qui devait se produire en 2006, et qui s’est révélée par la suite être de la pure fantaisie. Ces dérives oniriques ont conduit les adversaires du cheikh à le qualifier de simple cheikh illuminé, alors même qu’au sein de la mouvance islamique, de nombreux sympathisants d’Al Adl wal Ihssane critiquaient ses tendances excentriques. Certains reprochaient carrément au cheikh de tourner en ridicule la Jamaâ. Pour eux, les extravagantes prophéties du fqih faisaient plus de tort que de bien à l’association islamiste et enlevaient à la Jamaâ le sérieux indispensable à tout mouvement qui aspire à jouer un rôle politique dans le pays.