Au lendemain des manifestations qui se sont tenues dans plusieurs villes marocaines le 20 Février, le souverain chérifien Mohammed VI a annoncé dans un discours très attendu par la population qu’il s’engageait « à la poursuite de la réalisation des réformes structurantes » avant de réaffirmer son souhait de ne pas uniquement « préserver les acquis, mais (de les) consolider par de nouvelles réformes ». Sonnant comme une réponse aux attentes exprimées par les manifestants, ce discours a été accueilli par les marocains comme un signal que leur monarque a clairement reçu le message social et politique qui lui a été adressé.
Selon Mounir, 28 ans, rencontré dans les rues de Rabat, « même si ce discours était prévu pour l’installation du CES (le conseil économique et social, une nouvelle instance de médiation présidée par l’ancien ministre Chékib Benmoussa), les marocains ont parfaitement compris le message qui leur a été adressé par le roi : les réformes vont s’intensifier et le ménage sera fait ! ». Mohammed VI, 48 ans, est en effet apprécié par les marocains et est considéré comme l’un des dirigeants arabes les plus ouverts après qu’il ait procédé à une vaste batterie de réformes durant la première moitié des années 2000, notamment en faveur des femmes, des libertés, et de la libéralisation économique. Il doit cependant faire face à une pression grandissante pour plus de réformes et de démocratisation, un mouvement issu de Facebook, intitulé « liberté et démocratie maintenant », s’inspirant de la vague tunisienne et égyptienne réclamant la tête du gouvernement, ainsi que le départ de plusieurs figures de l’entourage de Mohammed VI. Cible de la vindicte populaire, la famille Fassi-Fihri, qui compte plusieurs ministres au sein du gouvernement et dans des postes-clefs du pouvoir. Ce proche de cette famille, s’exprimant sous couvert d’anonymat, exprime son incompréhension quant à cette vindicte : « La famille Fassi Fihri a toujours pourvu le Palais en fonctionnaires zélés, probes et intègres depuis plusieurs siècles, c’est un pur hasard si plusieurs d’entre eux sont arrivés à ces postes ». Mohammed VI doit donc procéder à un rééquilibrage discret de ses états-majors car les différents pôles de revendications se mènent une guerre féroce, même sur Internet. Si le mouvement issu de Facebook est à majorité laïc, pro-occidental et sympathisant de l’extrême gauche avec le Parti Socialiste unifié, un autre mouvement- plus proche des islamistes de Justice et bienfaisance- s’est greffé sur les manifestations de dimanche dernier pour tenter de faire pencher la balance en direction de thèses islamo conservatrices. Ce grand écart idéologique au sein de la vague de contestation constitue l’un de ces « paradoxes à la marocaine » que les internautes chérifiens affectionnent tant. Dans un style inimitable, la jeune bloggeuse marocco-anglaise Sarah de « Words of change » exprime avec une ironie mordante le dilemme auquel les marocains doivent faire face : « Dans certains pays, les gens détestent les partis politiques et veulent s’en débarrasser, au Maroc les gens détestent les partis politiques donc il veulent retirer des pouvoirs au Roi pour leur en donner une partie… »