La « Maison Jaune », bâtiment éventré au cœur de la capitale libanaise doit être transformé en centre culturel. Les travaux cofinancés par la Mairie de Paris débutent cet automne.
« C’était une très belle maison bourgeoise : meubles damasquinés, tapis, tableaux et cette architecture… unique ! » Nabil retrouve les rêves de l’enfant qui, à la fin des années 60, venait ici dormir chez son grand père. « L’orientation est parfaite, les chambres avaient toujours le soleil et une vue sur le ciel, les terrasses dominaient la rue de Damas… »
De fait, dans ce populaire quartier d’Achrafieh, le bâtiment de style néo-ottoman a toujours une allure singulière. Commencé en 1924 par Youssef Aftimos, architecte emblématique de la capitale libanaise, il sera terminé d’après les croquis du maître par Fouad Kouzah, son élève le plus doué. Depuis 1994, l’architecte Mona Hallak se bat bec et ongles pour éviter sa démolition et conserver « l’histoire de Beyrouth, la belle histoire de Beyrouth. » Pour elle, « Ce bâtiment prouve que Beyrouth a été une ville innovante, une ville de pionniers. Tant dans l’architecture elle même que dans les modes de vie de ses habitants. »
Ceux qui vivaient ici s’appelaient Barakat. Ils ont longtemps donné leur nom à l’immeuble que certains appellent aujourd’hui « La Maison Jaune » en référence à l’enduit utilisé. Demain, pour le monde entier, ce sera « Beit Beirut, Museum and Urban Cultural Center. »
Affaire de cœur
Beyrouth, le « Paris du Moyen-Orient », renait encore une fois. « Gray Beyrouth », « Four Seasons », « Hyatt »… les hôtels de luxe refleurissent. Jean Nouvel imagine le « Landmark », immense tour d’appartements et de services. Le paysage urbain se métamorphose en faisant la part belle aux constructions modernes. Les capitaux affluent du monde entier et les destructions vont bon train au risque de défigurer rapidement cette ville millénaire. Se pose donc la question de la préservation du patrimoine beyrouthin.
C’est là qu’interviennent deux hommes politiques français. Successeurs dans leur fonction, ils poursuivent un même but : Symboliser l’amitié qui lie Paris et Beyrouth, la France et le Liban. Jacques Chirac en avait parlé. Bertrand Delanoë le concrétise.
Dès 2008, ce dernier envoie des missions d’assistance technique pour aider au chiffrage et à la définition d’un projet de musée à Beyrouth. En avril 2010, en annonçant le bouclage du dossier et le début des travaux, le maire de Paris qui est né à Tunis confirme : « J’ai l’impression de revenir à la maison ! Beyrouth est une de mes capitales du cœur, car les Libanais ont une certaine relation, particulière et touchante, à la vie. »
Le temps des snipers
Curieusement, cette maison jaune abrite tout en même temps.
La flamboyance abîmée des années 30, un projet de rénovation ultra-contemporain et les traces bien visibles de la guerre civile.
1974 / 1989. Au Liban, 150 000 personnes trouvent la mort en 15 années de combats. Le « sniper du Barakat » a vécu là. Un tireur d’élite, semeur de mort sur la « ligne verte », ce no man’s land qui coupait Beyrouth en deux. La frontière sur laquelle milices chrétiennes et forces palestino-communistes se faisaient face.
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Bunkers, éclats de mortier et sacs de sable sont encore présents dans les appartements dévastés, comme si la guerre venait de s’achever. Mona Hallak nous conduit au premier étage : « Voici le poste préféré des snipers. Dans cette pièce, il pouvait y avoir jusqu’à trois tireurs. Chacun pouvait viser et surveiller la ligne verte, depuis un coin différent. L’ingénieur militaire qui a modifié la pièce a prévu sept meurtrières. Depuis cette pièce, beaucoup de beyrouthins ont été tués. »
Le temps de la mémoire
« Il y aura deux musées. Un sur la mémoire de la guerre et l’autre sur l’histoire de la ville à travers des époques différentes, y compris l’époque moderne. Il y aura aussi une bibliothèque, un espace culturel destiné à tous les Beyrouthins, un auditorium et un forum où les étudiants pourront travailler sur la mémoire et l’histoire. » Youssef Haidar, l’architecte en charge du projet est enthousiaste : « Le nouvel espace est de style résolument moderne. Nous ne voulons pas copier le passé ou d’autres langages existants. Le style sera carrément contemporain. »
La première partie des travaux qui concerne la réhabilitation de la partie « Barakat » doit débuter ces jours-ci et durer une année. La construction de verre et métal terminera l’ensemble en 2012. Le forum pourra alors alimenter les réflexions sur la nécessité de préserver l’identité de Beyrouth et de mettre fin aux destructions en cours. L’innovation technologique côtoiera la préservation patrimoniale. « Beït Beirut, Urban and Cultural Center » ouvrira ses portes en 2013. Drôle de rapport entre l’ancien et le moderne.
Christophe Chassaigne