La pertinence du regard et l’humour décalé sont sa marque de fabrique. Rencontre à Palerme avec le journaliste et écrivain italien Roberto Alajmo pour une analyse sans concession de la situation politique italienne.
Interview et traduction : Christophe Chassaigne
La Lettre Méditerranée : Le président de la Chambre des députés, Gianfranco Fini, se détourne de Berlusconi pour fonder une nouvelle organisation, « Futuro e Libertà ».
Est-ce une crise grave pour la droite italienne ?
Roberto Alajmo : – « La crise est grave pour l’ensemble de l’Italie. Ces derniers mois, le centre-gauche est tellement inexistant que la Droite a engendré une sorte d’opposition interne. Il n’est pas rare, par exemple, que le ministre de la Défense [Ignazio la Russa, membre fondateur d' »Alliance Nationale », l’ancien parti de Gianfranco Fini] justifie la « mission de paix » italienne au Moyen-Orient alors qu’un membre de la Ligue du Nord [pourtant associée à la coalition gouvernementale] demande le retrait immédiat des troupes. La guerre entre Berlusconi et Fini est une autre facette de cet hermaphrodisme politique. Mais ne vous y trompez pas, elle disparaîtra à l’approche des élections. Dans le pays de Machiavel, on se déchire beaucoup. Seulement, quand cela devient urgent et nécessaire, le pragmatisme l’emporte.
LM : Fin septembre, Berlusconi a sauvé de justesse son gouvernement en obtenant un vote de confiance dans cette chambre des députés italienne. Est-ce une victoire pour lui et un gage de stabilité ?
Roberto Alajmo : – « La stabilité politique est une chimère en Italie. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Au début de sa législature, le gouvernement Berlusconi pouvait s’appuyer sur une écrasante majorité dans les deux assemblées. Mais aujourd’hui, la marge de manœuvre du gouvernement est très étroite, les partisans de Fini se réservant le droit de décider au coup par coup s’ils voteront pour ou contre chaque proposition. Pour Berlusconi, c’est une victoire à court terme. Il faut voir comment évoluera la situation à moyen terme.
LM : Après avoir fait trembler Berlusconi, Gianfranco Fini et ses amis n’ont pas voulu donner le « coup de grâce » à son gouvernement. Pourquoi ?
Roberto Alajmo : « Ils n’ont pas voulu parce qu’ils ont compris qu’ils sciaient la branche sur laquelle ils étaient assis.
Fini, lui, a eu tout le temps et toutes les cartes en main pour comprendre qui est vraiment Berlusconi. Il suffit de regarder les images de notre Président du Conseil au Parlement Européen [en 2003, lorsqu’il traite un député allemand de « Kapo »], des images qui ont fait le tour du monde, pour s’en rendre compte. Fini, alors ministre des Affaires Etrangères, est assis à côté de lui. Dans son regard angoissé, on comprend qu’il n’en peut plus. A ce moment là, déjà, il veut le saborder.
Pourtant, peu de temps après, son parti « Alliance Nationale » fusionne [avec « Forza Italia »] pour créer le parti du « Peuple de la Liberté », cédant sans condition à Berlusconi.
En fait, quand Fini s’est décidé à « quitter la table », seulement une petite partie des siens a suivi.
La raison est simple : En Italie, les chances électorales d’une droite moderne, européenne, sont extrêmement ténues. Pour ne pas dire inexistantes. »
LM : Le projet politique de Gianfranco Fini est de redéfinir le centre. Le Parti démocrate propose la création d’une coalition avec l’Union démocrate-chrétienne et ce nouveau parti de Fini. Est-ce la bonne stratégie pour battre Berlusconi en 2013 ?
Roberto Alajmo : – « Je ne le crois pas. Comme je ne crois pas que Fini puisse un jour arriver à une alliance avec le centre-gauche. L’hypothèse est caduque. »
LM : La Confindustria (le Medef italien) et les grands patrons se détachent actuellement de Berlusconi. Souhaitent-ils la construction d’un nouvel équilibre politique ?
Roberto Alajmo : – » Ils commencent à comprendre que l’intérêt de Berlusconi et le leur ne coïncident qu’en partie. Demain, ils pourraient bien retirer leur soutien au « Peuple de la Liberté ». Mais « Il Cavaliere » ne me semble pas du genre à se laisser désarçonner sans combattre. Je m’attends encore à de nombreux « coups de sabot » contre cette partie du centre-droit.
LM : Le présentateur d’AnnoZero, une des principales émissions politiques de la télévision publique italienne a été suspendu pendant 10 jours par la direction de la Rai.
Michele Santoro est très critique avec Silvio Berlusconi…
Pour vous qui y travaillez, est-ce possible d’avoir une liberté de ton à la télévision italienne ?
Roberto Alajmo : – » Expliquer le fonctionnement de la télévision italienne à un étranger n’est pas impossible. C’est tout bonnement inutile. Notre télévision publique est – de fait – contrôlée par le propriétaire du seul réseau privé concurrent… Tout est dit. Des émissions comme celles de Santoro ne sont qu’une dernière « feuille de vigne ». Quelquefois je me demande si, paradoxalement, ce ne serait pas mieux qu’elle tombe. De façon à exposer, de la façon la plus crue, l’énorme conflit d’intérêt qui immobilise et assomme l’opinion publique italienne. »